PAON BLEU
PAON BLEU, Diptyque photographique, série Les Absents du décor, tirage fine art et encadrement © Halida Boughriet.
« J’ai inventé le rose » à l’Institut Français d’Algérie à Alger
Du 27 novembre au 31 décembre 2025
L’exposition est mise en perspective par la vision de Wassyla Tamzali.
Elle fonde et dirige Les Ateliers Sauvages, un espace de recherches, de discussions et de partages qui intègre une action culturelle dynamique et indépendante à Alger.
Artistes Exposés : Kader Attia, Halida Boughriet, Naim Boukir, Serine Hamami, Fatiha et Hassina Tine, Diaffar Zizi
En résonance avec l’esprit de l’exposition et le regard de la commissaire, l’énoncé fait notamment référence à l’artiste Baya et au texte d’Assia Djebar, « BAYA, LE REGARD FLEUR ». Ce texte rappelle la nécessité de briser l’« énucléation de l’œil » et de faire émerger la liberté de regard, un thème cher à l’art contemporain et à la militante qu’est Wassyla Tamzali.
L’exposition « J’ai inventé le rose » est une invitation à la réflexion sur la création, l’histoire et l’émancipation, à travers les voix et les matières d’artistes qui façonnent le présent.
Extrait de Référence : « BAYA, LE REGARD FLEUR » par Assia Djebar
De la fin de ce Quattrocento à aujourd’hui, cinq cent ans de pénombre d’où a surgi « la fusée que j’appellerai Baya », dit André Breton à l’exposition Maeght en 1947… Baya, pour moi, a le regard fleur. Longtemps, considérant toute peinture dans l’attente du vide des musées, je me suis tenue non pas devant, en position de premier, de dernier spectateur, mais en arrière de la toile. Dans un temps archéologique d’avant la naissance de l’œuvre, en plan arrière au-delà de l’arrière-plan, paralysée. Enfoncée. Enterrée. Yeux voilés. Pas le droit de regarder. Pas oser découvrir à loisir, ni caresser du regard. Un jour peut-être, pas aujourd’hui, tant que l’amour d’un autre sous le pinceau, sous le couteau, dans la pâte, dans l’huile, est en train de sécher, de durer… Longtemps, devant toute peinture, je n’ai pu me poser réellement devant ; je me suis sentie en arrière d’une irrémédiable zone d’ombre.
Il m’a fallu « tourner » au cinéma (tourner, en fait, comme les derviches tourneurs) pour me sortir de là — et c’est une autre histoire ! Trente années de « culture picturale » normale ne me donnaient qu’un savoir, qu’un « goût », laissaient intact mon trouble, et l’équivoque de ma position…
Nul n’a encore dit à quel point la réclusion de générations de femmes a entraîné une énucléation de l’œil pour toute une descendance ! Revenir à Baya, Baya enjambant d’emblée cette condamnation, comme si elle s’envolait, une fois pour toute, à tire-d’aile. Quand Breton la célèbre, elle a seize ans. L’amitié maternelle d’une Française égarée en colonie, avait sorti la fillette du huis clos ancestral…
Assia Djebar, Le Nouvel Observateur, 25 janvier 1985.
Le diptyque photographique PAON BLEU d’Halida Boughriet s’inscrit dans une démarche de contre-récit. L’œuvre utilise une esthétique luxuriante pour subvertir les codes de l’orientalisme classique, un narratif historiquement hégémonique. En réintégrant des symboles forts (le paon, le tissage, le masque) et en les juxtaposant à des fragments de mémoire traumatique (collages photographiques de la guerre d’Algérie), Boughriet décadre la vision stéréotypée de la femme orientale. Ce faisant, elle forge une nouvelle subjectivité, rendant hommage à Baya et affirmant la résilience et la liberté de regard face aux tentatives d’« énucléation de l’œil » héritées du contexte colonial et patriarcal.




